Phéniciens et Puniques
Avant même la fondation de Carthage,
vers 1 100 avant JC, les Phéniciens installent probablement
leurs premiers comptoirs au Maroc, d’abord sur le littoral
méditerranéen puis sur les rivages atlantiques.
En effet, vers 1 000 avant JC, le littoral du Maghreb tout entier
commence à s’ouvrir aux empires maritimes de la
Méditerranée orientale. De la Phénicie
aux Colonnes d’Hercule - l’actuel détroit
de Gibraltar -, la Méditerranée devient la matrice
de la civilisation et l’Afrique du Nord y est peu à
peu intégrée avec pour frontière naturelle
le désert du Sahara en excluant et isolant le reste de
l’Afrique. Jusqu’à présent, deux sites
seulement ont été identifiés avec certitude
:Lixus et Mogador.
Mise à part l’évidence textuelle, l’archéologie
ne nous éclaire toujours pas sur cette période
puisque les vestiges les plus anciens découverts à
Lixus et sur l’îlot d’Essaouira (Mogador),
consistant en rares sépultures, tessons de céramique
(possédant parfois des inscriptions en caractères
phéniciens) et débris de fondations de murs, ne
sont pas antérieurs au VIIe siècle avant JC.
Ces vestiges sont presque tous contemporains à la fondation
de Carthage, colonie de Tyr crée vers 800 avant JC. C’est
à ce moment là que l’influence punique commence
vraiment à se faire sentir au Maroc. On compte alors
de très nombreux établissements, ports et villes
sous la domination de Carthage : les ports de Rusaddir (Melilla)
et de Tingis (Tanger), les villes côtières de Cottès,
près du Cap Spartel, Lixus (Larache), Thymiatérion
(Mehdiya), Sala (Salé), Portus Rutubis (Mazagan), Portus
Risadir (Agadir). D’après le récit d’Hannon,
célèbre navigateur carthaginois, ils furent créés
et peuplés par les colons qu’il transportait lors
de son fameux périple qui eu lieu vers le milieu du Ve
siècle avant JC et avant la première guerre punique.
Ce texte, d’interprétation très difficile,
fait encore l’objet d’études et n’est
pas accepté dans son intégralité comme
source historique fiable.
Tyr, métropole du Moyen-Orient, est occupée au
VIe siècle avant JC par les Assyriens et Carthage se
trouve ainsi livrée à son destin développant
son propre impérialisme. C’est à ce moment
que l’émergence de Carthage, en tant que cité
ayant sa totale autonomie commerciale et politique, est clairement
observable. Elle donne une importance grandissante à
ses comptoirs marocains à travers lesquels elle fait
rayonner sa propre civilisation. Ce rayonnement dure presque
mille ans au Maroc. Il semblerait que les autochtones, non sans
heurts, prirent exemple sur Carthage dans leur organisation
politique.
Des structures et du matériel archéologique carthaginois
ont été identifiés aussi bien sur le littoral
méditerranéen à Abdeslam del Behar, à
l’oued Emsa et à El Ksar Sghir que sur la côte
atlantique sur l’îlot d’Essaouira, à
Lixus et Sala (Chella). Les fouilles archéologiques du
comptoir carthaginois de Tanger ont mis à jour un nombre
important de tombes à caissons, de bijoux, d’objets
divers ainsi que de la céramique rouge et des amphores.
Il semblerait que la ville de Volubilis existe déjà
au IIIe ou IVe siècle avant JC si l’on en croit
la découverte in situ d’une inscription punique.
Au Maroc, une des richesses convoitées et exploitées
par les Phéniciens puis les Carthaginois était
la pourpre dont la variété locale, connue dans
l’Antiquité sous le nom de « pourpre gétule
», était d’une finesse extrême. Les
écrivains de l’Antiquité (Horace, Pline
l’Ancien, Ovide, …) ne manquèrent pas de
la décrire. Durant l’Antiquité, la pourpre
était un colorant indispensable utilisé pour teindre
les étoffes. La pourpre était tirée de
trois coquillages, le murex brandaris, le murex trunculus et
la purpura hemastoma.
Le centre de l’industrie de la pourpre gétule était
l’îlot d’Essaouira (Mogador) de part l’abondance
des coquillages purpura hemastoma, d’eau douce et de bois,
mais aussi de part sa situation géographique facilement
défendable.
La période maurétanienne
Antérieure à l’occupation romaine, la
période maurétanienne, reposant sur l’héritage
culturel et artistique de Carthage, concerne l’Algérie
occidentale et le Nord du Maroc. Elle tire son nom du royaume
de Maurétanie née d’une fédération
de tribus ayant pour frontière naturelle vers l’est
le fleuve Mulucha (Moulouya). Les sources antiques ne confirment
l’existence de ce royaume qu’à partir du
IVe siècle avant JC. Entre les territoires dépendant
de Carthage (détruite en 146 avant JC) et cette frontière,
s’étendait la Numidie divisée en deux
royaumes : celui des Masaesyles et celui des Massyles.
L’histoire de la dynastie maurétanienne ne commence
à s’éclaircir qu’au début
du Ier siècle avant JC. avec l’intérêt
grandissant de Rome pour cette partie de l’Afrique du
Nord.
Lorsque Rome engage la guerre contre le roi numide Jugurtha
et ses Etats, le royaume maure de Bocchus Ier (Maroc actuel)
est l’allié des Romains. En récompense
de sa loyauté et pour lui avoir livré Jugurtha,
Rome accorde à Bocchus Ier la possession des Etats
du roi numide vaincu. En épousant les querelles de
Rome, le sort des royaumes maures (Berbères) sera dorénavant
étroitement associé au destin de cette métropole.
Ainsi, suite au décès de Bocchus Ier en 80 avant
JC, son royaume est partagé entre ses fils Bocchus
II et Bogud qui, dans un premier temps, sont tous deux fervents
partisans de César. L’assassinat de ce dernier
fera que chacun d’eux suivra un compétiteur différent
à la succession de César. C’est ainsi
que Bocchus combat aux cotés du victorieux Octave alors
que Bogud, liant son sort à celui d’Antoine,
trouve la mort. En remerciement, Octave accorde à Bocchus
les possessions de son défunt frère.
Suite à une courte période d’administration
directe, tout en intervenant le moins possible et en s’appuyant
sur ses alliés maures, Rome accentue son influence
en précisant cette volonté de présence
« indirecte ». C’est ainsi qu’à
la mort de Bocchus II en 34 avant JC, Octave fait placer sur
le trône Juba II, fils de Juba Ier. Candidat rêvé
pour Rome, ce prince maure présente l’incomparable
avantage d’avoir été élevé
à Rome dans l’entourage d’Auguste et d’être
marié à Cléopâtre Séléné,
fille de Cléopâtre et d’Antoine. Sorte
d’érudit, parlant grec, latin et punique, Juba
II se consacrera à la littérature, à
la collection d’objets d’art et à la protection
des arts tout en parcourant le pays. Il est fort regrettable
que ces œuvres, qui contenaient sans aucun doute des
renseignements sur le pays, nous soient inconnues. Cependant,
plusieurs récits historiques ont pour thème
les multiples expéditions que Juba II envoya, entre
autres, vers les Iles Fortunées (Canaries) et vers
l’Atlas. La passion que ce souverain entretenait pour
les arts devait probablement être partagée par
l’aristocratie du Maroc encourageant la créativité
artistique et développant un véritable marché
de l’art.
En effet, la Maurétanie connaît un essor et une
période de brillante civilisation sous le règne
de Juba II, décédé en 23 après
JC et sous celui de son fils Ptolémée. Iol,
capitale du royaume, est rebaptisée Caesarea (Cherchell)
en signe de soumission à Rome tandis que Volubilis
est la résidence royale par excellence. Les témoignages
archéologiques (vestiges de demeures, temples et forums,
statues masculines de marbre, buste féminin en stuc
peint, céramique de tradition hellénique dite
« campanienne » buste idéalisé
du souverain en bronze, fragments de sculpture, monnaies maurétaniennes)
trouvés dans les villes de cette période permettent
d’affirmer que la civilisation maurétanienne
influencée par Rome y était brillante. De plus,
la majorité de ces villes comme Volubilis, Banasa,
Lixus, Tamuda (près de Tétouan), Thamusida et
Rirha ont toutes été fondées avant l’occupation
romaine. Elles ont toutes connu un réel développement
avant l’installation de Rome grâce à la
paix, la prospérité économique et à
la protection d’un souverain esthète.
L’exportation de la pourpre demeure l’une des
activités économiques principales de la Maurétanie
avec celle du garum, sorte de saumure de poisson servant de
condiment recherché par les gourmets romains. En plus
de ses exportations de salaisons, de blé, d’huile,
de vin et de produits vivriers, le Maroc est également
exportateur de peaux de différents animaux et de fauves
destinés aux jeux du cirque. A cette époque,
l’Afrique du Nord abritait encore une faune aujourd’hui
éteinte : éléphants, léopards,
lions, panthères, etc.
C’est probablement pour s’emparer de l’exploitation
des richesses naturelles de ce pays à très grand
potentiel que Caligula fait assassiner Ptolémée
à Rome en 40 après JC. Ainsi s’achève
une indépendance qui, politiquement, n’était
qu’une fiction mais qui, du point de vue de la civilisation,
avait été une fusion réussie d’éléments
grecs et puniques greffés sur un fonds berbère
ou libyque.
La présence romaine
L’occupation romaine se concrétise
lorsque Rome rattache le Maroc à l’Empire après
avoir mis un terme, suite à de nombreuses et sanglantes
expéditions, à la révolte qui durera
quatre ans, engendrée par le meurtre de Ptolémée.
Elle fut conduite par Aedemon, un des affranchis du roi, afin
de venger sa mort et d’empêcher la captation d’héritage
tentée par Caligula. Cette révolte eut de graves
conséquences sur l’organisation du royaume maurétanien
entraînant la destruction totale de Tamuda et partielle
de Lixus et Volubilis. Après la victoire de Rome, l’Empereur
Claude Ier proclama l’annexion pure et simple de la
Maurétanie dont il fit deux provinces de part et d’autre
de la Moulouya en 46 après JC : la Maurétanie
Césarienne à l’est avec pour chef-lieu
Césarea (Cherchell), et la Maurétanie Tingitane
à l’ouest avec pour chef-lieu administratif Tingi
(Tanger). Cette dernière province qui correspond à
peu près au Maroc actuel, fournit à Rome des
soldats, de l’argent, du blé, de l’huile,
du garum, des salaisons et du vin. Les villes de Zilis (Azila),
Lixus (Larache), Banasa (Sidi Ali Bou Djenoun), Thamusida
(Sidi Ali Ben Ahmed), Sala (Salé), Ad-Mercuri (Oued
Yquem), sur la côte, et Ad-Novas (Sidi El Yamani), Oppidum
Novum (El Ksar), Volubilis et Tocolosida, à l’intérieur
du pays, étaient, avec Septum (Ceuta) et Tingi (Tanger),
des cités romaines prospères auxquelles avaient
fait place les comptoirs phéniciens de la domination
précédente.
Le modèle architectural romain se retrouve dans les
villes avec ses plans géométriques où
de larges voies se coupent à angle droit, ses somptueuses
demeures, son forum, sa basilique judiciaire, son arc de triomphe,
ses thermes et ses temples comme au centre et au Nord-est
de Volubilis. Construit en 217 sous Caracalla, l’arc
de triomphe de Volubilis est représentatif du style
monumental grandiose affectionné dans l’empire
romain. Il en est de même pour celui à trois
baies de Sala. Quant à Lixus, elle possède l’unique
amphithéâtre du Maroc en plus de ses thermes
et de ses villas romaines pavées de très belles
mosaïques (Maison de Mars et de Rhéa).
Les vestiges des belles maisons comprennent tous des mosaïques
aussi bien à Volubilis qu’à Sala, Lixus,
Banasa ou encore dans l’îlot d’Essaouira.
Même si celles-ci n’ont encore pas fait l’objet
d’études approfondies, les motifs dominants appartiennent
au répertoire ornemental romain et sont en général
géométriques, floraux ou à thèmes
mythologiques (la mosaïque de Vénus et la mosaïque
d’Orphée à Volubilis par exemple). Il
est intéressant de noter que certaines mosaïques
à décor géométrique évoquent
les motifs de tapis berbères.
La découverte de bronzes de qualité exceptionnelle
à Volubilis (la tête du vieil artisan, le portrait
de Caton d’Utique, le chien, l’éphèbe
couronné de lierre et l’éphèbe
verseur) et à Lixus (le groupe d’Hercule et Antée)
attestent du haut degré de raffinement et de la présence
certaine d’amateurs d’art et de mécènes.
Le nombre des pièces d’ameublement de grande
qualité découvertes est également considérable.
Il s’agit surtout de lampes, d’appliques, de pièces
de lits et de tables.
Il semblerait que la paix régna en Tingitane jusqu’à
la fin du IIIe siècle même si de nombreuses zones
d’ombre subsistent encore concernant cette première
époque romaine au Maroc. De plus, Rome semble adopter
une stratégie défensive en Afrique du Nord à
partir des années 225/230. L’Empire, en refoulant
périodiquement les nomades sahariens, pense davantage
à se protéger qu’à lancer des expéditions
de découverte vers un Sud hostile et désertique.
C’est ainsi que Rome ne contrôlera bientôt
plus qu’une étroite frange de l’Afrique
du Nord, entamant en Mauritanie tingitane un repli.
Il est certain qu’à la fin du IIIe siècle,
Rome recule. Il semblerait que sous la pression des tribus
berbères, Baquates en particulier, tout le Sud de la
province est abandonné. Toutes les villes de la province
du Sud sont évacuées à l’exception
de Sala (ville encore romaine au début du IVe siècle)
et de l’îlot d’Essaouira. Désormais,
l’étendue de la domination effective de Rome
se limite à un étroit triangle dans le nord
de l’actuel Maroc dont la base serait la ligne Sala-Volubilis
(cette dernière sera abandonnée en 285) et le
sommet, Tanger. D’ailleurs, c’est autour de Tingi
que Rome se maintient fermement même si les fouilles
archéologiques, en mettant en évidence des fortifications
datant de cette époque, démontrent qu’un
danger réel menaçait cette partie septentrionale
de la province. Celui-ci provenait certainement des incursions
des tribus rifaines. Port principal de la Maurétanie
tingitane, Tingi demeure une ville importante pendant cette
période de grand repli qui s’amorça durant
le règne de Dioclétien (284-305). Désormais,
Tingi est rattachée administrativement au diocèse
d’Espagne, limitant ainsi le rôle de la Maurétanie
tingitane à celui de « bastion protecteur »
en terre d’Afrique de la péninsule ibérique.
Les causes et l’ampleur exactes de ce repli sont toujours
inconnues. Les hypothèses émises le plus souvent,
et contenant une part de vérité, sont celles
des graves troubles survenus en Afrique sous l’empereur
Gordien vers 238 dont les conséquences furent la ruine
de la province tingitane, celle de la dégradation des
relations avec les tribus locales entraînant des agressions
et celle des répercutions immédiates de la crise
économique de l’Empire sur la Maurétanie
tingitane avec un repli militaire et politique.
Il semblerait également que, mise à part la
ville de Ceuta, l’ensemble de la province de Maurétanie
tingitane fut évacué suite au Traité
de Carthage passé entre Rome et les Vandales au Ve
siècle. Cet accord soumettait la Maurétanie
tingitane à l’administration des envahisseurs
Vandales et amorçait pour l’histoire du Maroc
une phase obscure.
Il n’en demeure pas moins que la présence directe
ou indirecte de Rome au Maroc dura cinq siècles avec
le maintien de la civilisation romaine dans les régions
abandonnées à l’oligarchie romaine ou
romanisée.
Un continuum de l’habitat dans les villes romaines a
même été mis en évidence avec pour
certaines, une utilisation par les conquérants arabes.
Volubilis, en passant de résidence royale maurétanienne
à opulente cité romaine, puis à première
capitale d’Idriss avant la fondation de Fès,
illustre parfaitement la réalité de continuum.
Dans cette ville, l’archéologie permet d’affirmer
que jusqu’au VIIe siècle, et malgré une
profonde décadence, les habitudes romaines subsistent.
Cette réalité soutient l’hypothèse
de l’existence au Maroc de royaumes berbères
hautement romanisés pendant presque trois siècles,
de la fin de l’Empire romain au début de l’islamisation.
C’est également au Maroc que l’héritage
romain semble survivre le plus tard.